Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/125

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— Père ! dit-elle avec cette voix dont elle connaissait la puissance, — rappelez-vous ce que vous m’avez promis !

— Oui, ma fille, — répondit Sombreval, — je serai calme, puisque tu l’exiges. Je n’entendrai rien que ta voix.

Il avait entendu autre chose : une injure avait cinglé son oreille comme une balle et y avait appelé la flamme. Cette injure trouvait mille échos ; des mots cruels, des mots vengeurs se détachaient sur le murmure grossissant des groupes. Indécis d’abord, puis redoublé, ce murmure prit enfin les proportions d’une huée, d’un tonnerre.

Si Sombreval avait été seul, il y avait en lui assez de Cromwell pour braver cette clameur et rester impassible. Mais il avait à côté de lui, à son bras, sa vie, son âme, sa passion, tout ce qu’il valait encore, cet homme tombé, car il ne valait que par elle ! L’injure qui passait par cette fille adorée et qui la déchirait lui atteignait le cœur !… Fort comme il était, il pensait qu’en s’avançant sur ces groupes et en saisissant le plus robuste de ces hommes grossiers pour s’en faire une massue vivante et frapper les autres, il allait dissiper ces insolents ou les dompter par cette foudre humaine, — la force, — que les hommes adorent ; et la tentation l’envahissait : mais il n’y succombait