Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/316

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tout vu, M. de Lieusaint. Les jours sont courts à la Saint-Martin et la nuit tomba vite sur le char-à-bancs, attardé par le mauvais état des routes. Bernardine s’était placée derrière les deux vieillards au fond de la voiture pour y pleurer tout à son aise les larmes qu’elle avait jusque-là réprimées.

Elle les versa dans le bouquet que lui avait donné Calixte et dont elle se voilait le visage, en les respirant. Calixte avait cueilli pour Bernardine les plus belles fleurs de la serre du Quesnay.

Ces magnifiques fleurs, apportées avec une générosité si sincère par cet ange, — cet Ange blanc (comme l’appelait Néel), qui aurait voulu donner avec à Bernardine la paix du cœur, brûlaient les mains de la jalouse par la pensée que ces fleurs venaient de la femme qui lui prenait le cœur de son fiancé, et elle fit un mouvement pour les jeter furtivement dans la fondrière du Bocquenay, quand ils y passèrent. Mais quelque chose du charme de Calixte était infusé dans ce bouquet, et elle le garda.

— Ce n’est pas sa faute, après tout, à elle, s’il l’aime ! pensa-t-elle.

Et, le visage enseveli dans les fleurs qu’elle ne jeta pas, elle prit ce soir-là une résolution héroïque, celle de renoncer à Néel pour tou-