Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/108

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puisque tout à l’heure évoluait devant lui la femme exquise (et la lumière qui se jouait dans ses voiles aériens présentait et nimbait radieusement tout son corps) ; et il ne l’a pas désirée.

Peut-être se fût-elle refusée, peut-être quelque pacte était-il intervenu entre eux… Mais j’ai bien vu que ses yeux mêmes n’en voulaient pas : ces yeux qui se sont allumés dès qu’a paru cette fille, cette Vénus ignoble aux cheveux sales et aux ongles boueux, et qui se sont affamés d’elle.

Parce qu’il ne la connaît pas, parce qu’elle est autre que celle qu’il connaît. Avoir ce qu’on n’a pas… Ainsi, quoique cela puisse paraître étrange, c’est une idée, une haute idée éternelle qui conduit l’instinct. C’est une idée qui, devant la femme inconnue, tend ainsi l’homme, fauve, la guettant, l’attention aiguë, avec des regards comme des griffes, mû par un acharnement aussi tragique que s’il avait besoin de l’assassiner pour vivre.

Je comprends, moi à qui il est donné de dominer ces crises humaines, — si déchaînées que Dieu, à côté, paraît inutile, — je comprends que beaucoup de choses que nous situons en dehors de nous, sont en nous, et que c’est là le secret. Comme les voiles tombent, comme les simplicités apparaissent, comme la simplicité apparaît !

Le déjeuner à la table d’hôte eut d’abord pour moi un magique attrait : je scrutai toutes les physionomies