Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/134

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obsédante : la vérité douloureuse dont elle avait trouvé la formule, le plus large nom du mal : l’espace qui nous cache, le temps qui nous déchire.

Dans la chambre que le crépuscule rend basse et étroite, où le pauvre ciel montre l’espace, où la pendule, monotone, affirme et affirme le temps, il répéta, penché sur elle comme au bord d’un abîme d’interrogation :

— Sait-on ce que nous sommes ! Tout ce que nous disons, tout ce que nous pensons, tout ce que nous croyons, est peu sûr. On ne sait rien ; il n’y a rien de solide.

— Si, cria-t-elle, tu te trompes : il y a, hélas, il y a, parfaits, absolus, notre douleur et notre besoin. Notre misère est là : on la voit et on la touche. Qu’on nie tout le reste, mais notre mendicité, qui pourrait la nier ?

— Tu as raison, dit-il, c’est la seule chose absolue qui soit.

C’était vrai qu’elle était là, c’était vrai qu’on la voyait, qu’on la touchait, sur leurs figures grandes ouvertes…

Il répéta :

— Nous sommes la seule chose absolue qui soit.

Il se raccrochait à cela. Il avait senti un point d’appui parmi l’envolée du temps. « Nous… » disait-il. Il avait trouvé le cri contre la mort, il le répétait. Il l’essayait : « Nous… Nous… »

Dans le crépuscule maintenant sans horizon de