Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/137

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presque effacée des cieux, avec leur pensée et leur voix invisibles…

— Ces croyants demandent la mort comme on demande la subsistance. En ce jour suprême, un mot est enfin changé à la prière quotidienne : la mort au lieu de pain.

« Lorsqu’ils savent qu’ils vont enfin mourir, ils remercient. Je voudrais que cette action de grâces s’épanouît tout d’abord — comme l’aube. Ils montrent à Dieu leurs mains et leurs bouches obscures, leur cœur ténébreux, leurs regards qui ne font pas de lumière, et ils le supplient de guérir leur incurable obscurité.

« Un raisonnement élémentaire transparaît au milieu de leur imploration. Ils veulent s’ôter de l’ombre parce qu’elle intercepte la lumière divine ; à travers leur humanité, ils n’ont perçu, de celle-ci, que des reflets ou de fugitifs éclairs, et ils veulent la totalité de ce Dieu dont ils n’ont vu que les pâles étincelles au firmament : « Donne-nous, crient-ils, donne-nous l’aumône du rayon dont le reflet parfois nous couvre comme un voile, et qui, de l’infini, tombe jusqu’aux étoiles !  »

« Ils lèvent leurs bras blêmes comme deux pauvres rayons lourds et trop petits… »

Et moi, je me demandais si le groupe que j’avais sous les yeux n’était pas déjà dans la nuit de la mort ; si ce n’était pas leur âme commune qui, s’exhalant dans un dernier soupir, venait frapper mon oreille…

La poésie les traduit, les désigne ; elle retire leur vie, par fragments, du silence et de l’inconnu.