Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/140

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allait, me sembla-t-il, lui dire qu’il était cruel…

— Ils grandissent, et puis… Il dit, l’œil ardent : « Caïn !  » elle dit, la voix sanglotante : « Abel !  » Elle souffre au souvenir des deux enfants qui se sont haïs et frappés. Ils l’avaient frappée, elle, puisqu’ils étaient dans son cœur ; c’était comme s’ils étaient encore dans sa chair. Puis un autre souvenir l’appelle tout bas ; elle pense au tout petit qui est mort : « Le petit, le meilleur… Il n’est plus, et moi, moi, qui sans cesse le regarde !  » Elle distend ses bras dans l’impossible, elle geint, déchirée par le baiser vide : « Il n’est plus, et moi qui le caresse !  » Et l’homme gronde : « La mort, méchanceté des adorés, bonté sinistre qui nous quitte », et elle a ce cri suprême : « Oh ! la stérilité d’être mère !  »

J’étais emporté par la voix du poète qui récitait en balançant légèrement les épaules, possédé par l’harmonie. J’étais emporté jusqu’au rêve réalisé…

— Puis ils se revoient abandonnés par leurs enfants, dès que ceux-ci ont grandi et ont aimé. « Vivant ou mort, l’enfant nous laisse, à cause qu’il est doux de haïr la vieillesse quand on est jeune et qu’on est fort et qu’on est clair ; que le printemps terrible ensevelit l’hiver, qu’un baiser n’est profond que sur des lèvres neuves. Notre immense caresse, ô mères, devient veuve. Tu quitteras ton père et ta mère et fuiras l’embrassement stérile et pesant de leurs bras… »

Je pensai à la scène que j’avais vue, moi, l’autre soir, là même où cet homme parlait, à ce drame dans ma vie. Oui, cela avait été ainsi. La vieille