Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/158

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bourdonnement ne fut jamais isolé, et que toutes les fois que nous l’entendîmes, il était mêlé à la musique universelle d’un moment.

« Là où j’ai eu le plus l’impression du soleil du Midi, continua-t-il, considérant un autre souvenir, c’est à Londres, dans un musée ; devant un tableau représentant un effet de soleil dans la campagne romaine, un petit Italien en costume, un modèle, tendait son cou. Parmi l’immobilité des gardiens mornes, et le courant des visiteurs pluvieux, dans le gris et l’humidité, il rayonnait ; il était muet, sourd à tout, plein de soleil secret, et il avait les mains unies, presque jointes ; il priait le divin tableau.

— Nous avons revu Carpeia, dit Anna. Le hasard de nos voyages nous y a fait passer en novembre. Il faisait grand froid ; nous avions toutes nos fourrures ; le fleuve était gelé.

— Oui, et on marchait sur l’eau ! C’était désolé et curieux. Tous les gens qui vivaient de l’eau : le passeur, les pêcheurs, les mariniers, les laveuses et les maris des laveuses, — tous ces gens-là marchaient sur l’eau.

Il fit une pause ; puis il demanda :

— Pourquoi certains souvenirs restent-ils impérissables ?

Il enfouit sa figure dans ses mains tristes et nerveuses, et souffla :

— Pourquoi, pourquoi !