Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/160

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« Je ne reverrai plus ce pays. D’ailleurs je n’y connais plus personne. L’année dernière le vieil avare Borine était encore là à amasser et à compter son argent.

— Quand il a senti venir la mort, dit la jeune femme, il a dit : « Je vais être ruiné. »

Le jour baissait. La femme paraissait de plus en plus visible parmi les autres, et de plus en plus belle.

— Il avait, lui aussi, une grande bonté sur les traits. Pourquoi les avares, qui aiment une chose d’amour, n’auraient-ils pas l’air bon ?

Un léger frisson secoua les épaules du malade.

— Fermez la fenêtre, je vous prie, dit-il. J’ai froid.

Quand on l’eut fermée, du silence tomba. Elle dit :

— J’ai reçu une lettre de Catherine de Berg.

— Toujours la même ?

— Oui : elle se meurt de regret. Elle a beau aller de pays en pays — elle était la semaine dernière aux îles Baléares — elle traîne partout, comme une sorte de paresse, son veuvage inconsolable. Quelle force il faut pour être ainsi inconsolable ! Elle combat sa jeunesse et sa beauté. Elle ne voyage pas pour atténuer son deuil, mais pour l’augmenter, le mettre partout dans le monde. En réalité, elle ne veut aucune distraction. Cela la désole quand, par une revanche de la vie, elle oublie un instant. Un jour, je l’ai vue pleurer parce qu’elle avait ri. Et pourtant, son chagrin est calme à voir, aussi calme que sa grâce sur sa figure.