Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/173

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Le médecin s’en va d’un pas léger, avec ses sanglants souvenirs, tout ce fardeau de misère dont il ne sait plus le poids.

La consultation venait sans doute de s’achever. La porte s’était ouverte. Deux médecins entrèrent ; ils me parurent gênés dans leurs mouvements. Ils restèrent debout. L’un était un homme jeune, l’autre un vieillard.

Ils se regardèrent. J’essayai de pénétrer le silence de leurs yeux, la nuit qui était dans leurs têtes. Le plus vieux caressa sa barbe, s’adossa à la cheminée, fixa le sol. Il laissa tomber ces mots :

Casus lethalis… et j’ajouterais : properatus.

Il avait baissé la voix, par crainte d’être entendu des patients, et aussi à cause de la solennité de la condamnation à mort.

L’autre hocha la tête, — en signe d’approbation — on eût dit de complicité. Tous deux se turent comme deux enfants en faute. De nouveau, leurs yeux s’attirèrent.

— Quel âge a-t-il ?

— Cinquante-trois ans.

Le jeune médecin remarqua :

— Il a de la chance d’être arrivé jusque-là.

À quoi le vieux rétorqua philosophiquement :

— Il en a eu. Maintenant, il n’est pas plus avancé.