Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/18

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La bougie est éteinte, mais quelqu’un est là.

C’est la bonne. Elle est entrée sans doute pour ranger la chambre, puis elle s’est arrêtée.

Elle est seule. Elle est tout près de moi. Je ne vois pas très bien pourtant l’être vivant qui bouge, peut-être parce que je suis ébloui de le voir si réel : tablier bleu azuré, d’une couleur presque nocturne, et qui, devant elle, tombe aussi comme les rayons du soir ; poignets blancs, mains plus sombres, à cause du travail. La figure est indécise, noyée, et pourtant saisissante. L’œil y est caché, et pourtant il rayonne ; les pommettes saillent et brillent ; une courbe du chignon luit au-dessus de la tête comme une couronne.

Tout à l’heure, sur le palier, j’ai entrevu cette fille qui, pliée, frottait la rampe, sa figure enflammée proche de ses grosses mains. Je l’ai trouvée repoussante, à cause de ses mains noires, et des besognes poussiéreuses où elle se penche et s’accroupit… Je l’ai aperçue aussi dans un couloir. Elle allait devant moi, balourde, des cheveux traînant, laissant siller une odeur fade de toute sa personne qu’on sentait grise et empaquetée dans du linge sale.

Et maintenant, je la regarde. Le soir écarte doucement la laideur, efface la misère, l’horreur ; change, malgré moi, la poussière en ombre, comme une malédiction en bénédiction. Il ne reste d’elle qu’une couleur, une brume, une forme ; pas même :