Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/189

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— Chut ! s’écria le vieux maître. Je ne vous suis plus sur ce terrain. Je reconnais les maux présents. J’appelle de tous mes vœux l’ère nouvelle. Je fais plus, j’y crois. Mais ne parlez pas ainsi de deux principes sacrés !

— Ah ! dit amèrement le jeune homme, vous parlez comme les autres, maître… Il faut pourtant aller à la source du mal, vous les avez bien, vous… (et violemment) : « Pourquoi faites-vous comme si vous ne le saviez pas !… Si on veut guérir de l’oppression et de la guerre, on a raison d’attaquer par tous les moyens utiles — tous ! — le principe de la richesse individuelle et le culte de la patrie.

— Non, on n’a pas raison ! fit le vieillard qui s’était levé en grande agitation, et jeta à son interlocuteur un regard durci, presque sauvage…

— On a raison, cria l’autre.

Tout à coup, la tête grise retomba, et le vieillard dit à voix basse :

— Oui, c’est vrai, on a raison…

« Je me souviens… un jour, pendant la guerre ; nous étions réunis autour d’un moribond. Personne ne le reconnaissait. Il avait été trouvé dans les débris d’une ambulance bombardée (volontairement ou non, cela revenait exactement au même !) ; sa figure avait été mutilée. On ne savait pas ce que c’était : il appartenait à une des deux armées, c’était tout ce qu’on pouvait dire. Il gémissait, pleurait, hurlait, inventait d’épouvantables cris.