Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/233

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ment où le malade, dans le désarroi de cette installation, serait seul. Et il était debout près de l’homme endormi ou désarmé de faiblesse.

Il tendit la main vers une sacoche déposée près du lit. En faisant ce mouvement, il regardait le moribond, de sorte que sa main manqua, à deux reprises, l’objet.

Il y eut des craquements à l’étage supérieur, et nous tressaillîmes. Une porte battit ; il se haussa comme pour arrêter un cri.

… Il ouvrit lentement la sacoche. Et moi, moi, ne me connaissant plus, j’avais peur qu’il n’en eût pas le temps…

Il en tira un paquet qui bruissa doucement. Et, lorsqu’il considéra, dans sa main à lui, la liasse de billets de banque, je vis l’illumination extraordinaire qui s’irradia sur sa figure. Tous les sentiments d’amour y étaient mêlés : adoration, mysticisme, et aussi amour brutal… — sorte d’extase surnaturelle, et aussi satisfaction grossière qui embrassait déjà des joies immédiates… Oui, tous les amours s’imprimèrent un instant sur l’humanité profonde de cette figure de voleur.

… Quelqu’un guettait derrière la porte entrebâillée… J’ai vu l’appel d’un bras.

Il est parti sur la pointe du pied, lentement, précipitamment.

Je suis un honnête homme, moi, et pourtant, j’ai retenu mon souffle en même temps que lui ; je l’ai compris… J’ai beau m’en défendre : avec une horreur et une joie fraternelles aux siennes, j’ai volé avec lui.