Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/239

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crit, — le plus beau livre qu’on eût jamais écrit, à notre sens. Elle ne voulait pas que ces vers fussent publiés et sortissent d’entre nous. Un jour, dans le jardin, elle me manifesta sa volonté : « Jamais ! Jamais ! » disait-elle. Elle répétait comme une petite fille obstinée et mutine ce mot qui faisait l’effet d’être trop grand pour elle, en secouant sa tête mignonne où dansaient ses cheveux.

La voix de l’homme était devenue à la fois plus sûre et plus tremblante en complétant, en animant les quelques traits de l’ancienne histoire.

— Une autre fois, dans la serre, alors que depuis le matin ç’avait été la pluie, la longue pluie immobile, elle me dit : « Philippe… » — Elle me disait : « Philippe », comme vous me le dites.

Il s’arrêta, étonné de la simplicité trop simple de la phrase qu’il venait d’énoncer.

— Elle me dit : « Connaissez-vous l’histoire du peintre anglais Rossetti ? » et elle me conta cet épisode dont la lecture l’avait vivement impressionnée : il avait promis à la dame qu’il aimait de lui laisser toujours le manuscrit du livre écrit pour elle, et si elle mourait, de l’enfermer avec elle dans le cercueil. Elle mourut, et il fit, en effet, enterrer le manuscrit avec elle. Mais ensuite, mordu par l’amour de la gloire, il viola la promesse et la tombe. « Vous me laisserez votre livre si je meurs avant vous, et vous ne le reprendrez pas, Philippe ? » et je promis en riant, et elle rit aussi.

« Je me remis de ma maladie, lentement. Quand je fus assez fort, on m’apprit qu’elle était morte. Quand je pus sortir, on me mena au tombeau, le