Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/25

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sine. Mais il la regarde avec un regard qui voudrait aller jusqu’à sa chair, et plus loin encore, un regard plus fort que lui, dont il est honteux lui-même, dont l’illumination lui fait clignoter les yeux, et dont le poids l’écrase.

Et cet autre, j’ai vu aussi son regard cru, et j’ai vu sa bouche frémir et essayer de s’entrouvrir ; j’ai surpris le déclenchement de ce rouage de la machine humaine, le coup de dents convulsif vers la chair fraîche et le sang de l’autre sexe.

Et tous se sont répandus, contre le satyre, en un concert d’injures trop grandes.

… Ainsi, pendant un instant, ils n’ont pas menti. Ils se sont presque avoués, sans le savoir peut-être, et même sans savoir ce qu’ils avouaient. Ils ont presque été eux-mêmes. L’envie et le désir ont sailli, et leur reflet a passé, — et on a vu ce qui était dans le silence, scellé par des lèvres.

C’est cela, c’est cette pensée, ce spectre vivant, que je veux regarder. Je me lève, haussé, poussé par la hâte de voir la sincérité des hommes et des femmes se dévoiler à mes yeux, belle malgré sa laideur, comme un chef-d’œuvre ; et, de nouveau, rentré chez moi, les bras ouverts, posé sur le mur dans le geste d’embrasser, je regarde la chambre.

Elle est couchée là, à mes pieds. Même vide, elle est plus vivante que les gens qu’on croise et auxquels on vit mêlé, les gens qui ont l’immensité de leur nombre pour s’effacer, se faire oublier, qui ont une voix pour mentir et une figure pour se cacher.