Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/253

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refus mutuel des deux interlocuteurs et la mêlée de deux amants, les amants au sourire contagieux, qui ne sont amants que de nom, qui se creusent de baisers, qui s’étreignent plaie à plaie pour se guérir, qui n’ont entre eux aucun attachement, et qui, malgré leur rayonnante extase hors de l’ombre, sont aussi étrangers que la lune et le soleil. J’ai entendu ceux qui ne trouvent un peu de paix que dans l’aveu de leur honteuse misère, et les figures qui ont pleuré, pâles, avec les yeux comme des roses.

Je voudrais embrasser tout cela à la fois. Toutes les vérités n’en font qu’une (il m’a fallu venir jusqu’à ce jour pour comprendre cette chose si simple) ; c’est cette vérité des vérités dont j’ai besoin.

Ce n’est pas par amour des hommes. Il n’est pas vrai qu’on aime les hommes. Personne n’a aimé, n’aime et n’aimera les hommes. C’est pour moi, — uniquement pour moi, que je cherche à atteindre et à gagner cette pleine vérité qui est par-dessus l’émotion, par-dessus la paix, par-dessus même la vie, comme une espèce de morte. Je veux y puiser une direction, une foi ; je veux m’en servir pour mon salut.

Je regarde les souvenirs captivés depuis que je suis ici ; ils sont si nombreux que je suis devenu pour moi-même un étranger, et que je n’ai presque plus de nom ; je les écoute. Je m’évoque moi-même, tendu sur le spectacle des autres, et m’en emplissant comme Dieu, hélas — et, dans une attention suprême, j’essaye de voir et d’entendre ce que je suis. Ce serait si beau de savoir qui je suis !