Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/266

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la nature depuis ses fondements jusqu’à son extrême frontière attingible.

Et pourtant, ce chiffre, qui a figure de monstre, il faut le déformer encore, il faut le multiplier encore par cinquante trillions, le transformer en cent duotrigentillions, c’est-à-dire en un nombre de cent deux chiffres, si on admet la théorie de Newcomb qui, en se basant sur les mouvements et les vitesses des astres selon la loi immuable de la gravitation, limite notre système stellaire tout entier à une sphère d’espace de soixante quintillions de kilomètres de diamètre, où tombent harmoniquement cent vingt-cinq millions d’étoiles.

Qu’est-ce qu’on peut faire contre tout cela ?

Qu’est-ce que je peux faire, moi, qui suis là, ébloui par les papiers que je lis, au pied de cette lampe qui forme une ombre octogonale effleurant mon encrier, — dont la clarté diffuse me montre à peine le plafond et la fenêtre, noire et luisante sous ses rideaux légers, et ne fait presque pas sortir de la nuit les murs de la chambre…

Je me suis levé. J’erre dans la chambre. Qu’est-ce que je suis, qu’est-ce que je suis ? Ah ! il faut, il faut que je réponde à cette question parce qu’une autre y est suspendue comme une menace : Qu’est-ce qu’il va advenir de moi !

En face du grand miroir qui est debout sur la cheminée, je fixe mon image, je cherche en moi ce que je pourrais répondre à ma petitesse. Si je ne peux pas m’en évader, je suis perdu… Suis-je le peu que je parais être, suis-je immobilisé et étouffé dans cette chambre comme dans un cercueil trop large ?