Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/270

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Non ! Et c’est ici que je mets la main sur l’erreur.

La pensée est la source de tout. C’est par elle qu’il faut commencer, toujours… La vérité est retournée sur sa base.

Et maintenant je lis des signes de folie dans ma méditation de tout à l’heure. Cette méditation était la même chose que moi ; elle prouvait la grandeur de la pensée qui la pensait, et pourtant elle disait que l’être pensant n’est rien. Elle m’anéantissait, moi qui la créais !

…Mais ne suis-je pas la proie d’une illusion ? Je m’entends m’objecter : ce qui est en moi, c’est l’image, le reflet, l’idée de l’univers. La pensée n’est que le fantôme du monde prêté à chacun de nous. L’univers par lui-même existe en dehors de moi, indépendamment de moi, avec une telle immensité qu’il fait que je suis du néant et comme mort déjà. Et j’aurais beau n’être pas ou fermer les yeux, l’univers serait quand même.

Une angoisse, une blessure commençante m’étreint les entrailles… Puis voici qu’un cri monte en moi, un cri lucide, conscient et inoubliable comme un accord sublime de toute la musique : « Non ! »

Non. Cela n’est pas ainsi. Je ne sais si l’univers a en dehors de moi une réalité quelconque. Ce que je sais, c’est que sa réalité n’a lieu que par l’intermédiaire de ma pensée, et que tout d’abord, il n’existe que par l’idée que j’en ai. Je suis celui qui a fait se lever les étoiles et les siècles, et qui a roulé le firmament dans sa tête. Je ne peux pas sortir de ma pensée. Je n’ai pas le droit de le faire sans faute et sans mensonge. Je ne peux pas. J’ai beau