Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/272

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le philosophe a essayé, raisonnement par raisonnement, de conclure à quelque chose de réel en dehors du sujet pensant, il est sorti pas à pas de la certitude. De toute la philosophie passée, il ne reste que ce commandement d’évidence qui met en chacun de nous le principe de tout ; de la recherche humaine il ne reste que cette grande nouvelle que j’ai déjà lue comme dans un livre sur le recommencement et la solitude de chaque figure. Le monde, tel qu’il semble nous apparaître, ne prouve que nous, qui croyons le voir. Le monde extérieur, c’est-à-dire le globe terrestre avec ses onze mouvements dans l’espace, ses horizons et le va-et-vient de la mer, ses mille milliards de kilomètres cubes, ses cent vingt mille espèces végétales et ses trois cent mille espèces animales, et tout le monde solaire et sidéral avec ses transformations et son histoire, ses origines et ses voies lactées, — est un mirage et une hallucination.

Et malgré les voix, qui, même du fond de nous, crient contre ce que je viens d’oser penser, comme une foule contre la beauté, malgré le savant qui, avouant que le monde est une hallucination, ajoute, sans preuve, que c’est une « hallucination vraie », — je dis que l’infini et l’éternité du monde sont deux faux dieux. C’est moi qui ai donné à l’univers ces vertus démesurées, que j’ai en moi (il faut bien que je les lui aie données puisque, quand bien même il les aurait, je ne pourrais constater sur lui l’inconstatable, et je les ajouterais de mon propre fonds à l’image bornée que j’ai de lui). — Rien ne prévaut contre l’absolu de dire que j’existe et que je ne puis