Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/320

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originelle ? Qui osera tout dire, qui aura le génie de tout voir ?

Je crois à une forme haute du poème, à l’œuvre où la beauté se mêlera aux croyances. Plus je m’en sens incapable, plus je la crois possible. Cette morne splendeur dont certains de mes souvenirs m’accablent, me montre de loin qu’elle est possible. J’ai été parfois, moi, du sublime, du chef-d’œuvre. Parfois mes visions se sont mêlées d’un frisson d’évidence si fort et si créateur, que la chambre tout entière en a tressailli comme un bois et qu’il y a eu en vérité des moments où le silence criait.

Mais tout cela, je l’ai volé. Je ne l’ai pas conquis, j’en ai profité, grâce à l’impudeur de la vérité, qui s’est montrée. Au point du temps et de l’espace où, par hasard, je me trouvais, je n’ai eu qu’à ouvrir mes yeux, et qu’à tendre mes mains de mendiant, pour faire plus qu’un rêve et presque une œuvre.

Ce que j’ai vu va disparaître, puisque je n’en ferai rien. Je suis comme une mère dont le fruit de chair périra après avoir été.

Qu’importe ! J’ai eu l’annonciation de ce qu’il y aurait de plus beau. À travers moi est passée, sans m’arrêter, la parole, le verbe, qui ne ment pas et qui, redit, rassasiera.



Mais j’ai fini. Je suis étendu, et puisque j’ai cessé de voir, mes pauvres yeux se ferment comme