Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/39

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Alors elle demeura immobile, — inexplicable, effacée…

Dans un sursaut violent, je voulus en réalité la toucher… Détruire ce mur, ou sortir de ma chambre, crever la porte, me jeter sur elle…

Non, non, non ! Une intuition me replaça net et droit dans mon bon sens… J’aurais à peine le temps de l’effleurer. Je serais maîtrisé — la réputation salie, la prison, l’infamie, la misère noire, tout. J’eus une peur épouvantable, tellement tout cela était proche ; un frisson me cloua où j’étais.

Mais vite, une autre idée surgit, un rêve me laboura la chair : le premier effroi passé, elle se laisserait faire, peut-être ; elle serait prise à la contagion, elle s’enflammerait comme une chose à mon contact, dans un égarement de reconnaissance…

Non, encore non ! Car alors, ce serait une fille, et des filles, on en trouve tant qu’on désire. Il est facile d’avoir une femme entre les mains et d’en faire ce qu’on veut : c’est un sacrilège dont le prix est tarifé. Il existe même des maisons où, en payant, on peut, à travers des portes, en voir faire l’amour. Si c’était une fille, ce ne serait plus elle, — qui est angéliquement seule.

Il faut bien que je me mette ceci dans la tête et dans le corps : si je la recueille d’une façon si parfaite, c’est qu’elle est séparée de moi et qu’il y a entre nous un déchirement. La solitude la fait rayonner, mais la défend triomphalement. Sa révélation est faite de sa vérité vierge, de l’isolement universel dont elle est reine, et de la certitude où elle vit de cet isolement. Elle se montre, de loin,