Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/50

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leurs visages et leurs cheveux, de sorte que leur présence éclaira la chambre.

Allaient-ils s’en aller, m’abandonner ? Non, ils se rassirent ; tout retomba dans l’ombre, dans le mystère, dans la vérité.

… À les contempler, j’éprouvais un mélange confus de mon passé et du passé du monde. Où étaient-ils ? Partout, puisqu’ils étaient… Ils sont au bord du Nil, du Gange ou du Cydnus, au bord du cours éternel des âges. C’est Daphnis et Chloé, près d’un buisson de myrte, dans la lumière grecque, tout illuminés d’un vert reflet de feuillages, et leurs figures se reflétant l’une l’autre. Leur vague petit dialogue bourdonne comme les deux ailes d’une abeille près de la fraîcheur des fontaines, près de la chaleur qui dévore les champs, tandis qu’au loin un char passe chargé de gerbes et d’azur.

Le monde nouveau s’ouvre ; la vérité pantelante est là. Ils sont en désarroi, ils craignent la brusque apparition de quelque divinité, ils sont malheureux et heureux ; ils sont aussi près que possible, s’étant apportés l’un à l’autre autant qu’ils ont pu. Mais ils ne se doutent pas de ce qu’ils apportent. Ils sont trop petits, ils sont trop jeunes, ils n’existent pas assez ; ils sont chacun pour soi-même un secret étouffant.

Comme tous les êtres, comme moi, comme nous, ils veulent ce qu’ils n’ont pas, ils mendient. Mais ils demandent la charité à eux-mêmes, ils demandent secours à leurs présences et à leurs personnes.

Lui, déjà homme, déjà appauvri par ce compagnon féminin, tourné, traîné vers elle, lui tend