Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Nous sommes nés l’un pour l’autre, vois-tu… Il y a entre nos âmes une fraternité qui, fatalement, devait triompher. On ne pouvait pas plus nous empêcher de nous reconnaître et de nous appartenir qu’on ne pourrait empêcher nos lèvres de s’unir au moment où elles s’approchent. Que nous importent les conventions morales, les séparations sociales… Notre amour est fait d’infini et d’éternité.

Elle dit : oui, bercée par sa voix.

Mais moi qui les écoutais profondément, j’entendis bien qu’il mentait ou qu’il s’égarait dans des mots… L’amour devenait une idole, une chose. Il blasphémait, il invoquait en vain l’infini et l’éternité, qu’il honorait du bout des lèvres avec la prière quotidienne, tout usée.

Ils laissèrent tomber la banalité proférée… Après être restée pensive, la femme hocha la tête, et elle, elle prononça la parole d’excuse, de glorification ; plus que cela : la parole de vérité :

— J’étais trop malheureuse…

« Comme il y a longtemps !… », commença-t-elle.

C’était son œuvre d’art, c’était son poème et sa prière de se répéter cette histoire, bas et précipitamment comme dans un confessionnal… On sentait qu’elle y arrivait tout naturellement, sans transition, tellement cela la remplissait toute aux moments où ils étaient seuls.