Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/67

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Si mes jours devaient continuer ainsi, rien ne me séparait de ma mort — rien ! Ah ! rien !… S’ennuyer, c’est mourir. Ma vie était morte, et pourtant, il fallait la vivre. C’était un suicide. D’autres se tuent avec une arme ou du poison ; moi, je me tuais avec les minutes et les heures. »

— Aimée ! fit l’homme.

— Alors, à force de voir les jours naître le matin et avorter le soir, j’ai eu peur de mourir, et cette peur a été ma première passion… Souvent, au milieu des visites que je rendais, ou de la nuit, ou pendant que je rentrais chez moi, après des courses, le long du mur des Religieuses, j’ai frissonné d’espoir à cause de cette passion !…

« Mais qui me tirerait de là ? Qui me sauverait de cet invisible naufrage, dont moi-même je ne m’apercevais que de temps en temps ? Autour de moi, c’était une sorte de conspiration, faite d’envie, de méchanceté et d’inconscience… Tout ce que je voyais, tout ce que j’entendais essayait de me jeter dans le droit chemin, dans mon pauvre droit chemin.

« … Mme Martet, tu sais, ma seule amie un peu proche, plus âgée que moi de deux ans seulement, me disait qu’il faut se contenter de ce qu’on a. Je lui répondais : « Alors, c’est fini de tout, s’il faut se contenter de ce qu’on a. La mort n’a plus rien à faire. Vous ne voyez donc pas que cette parole termine la vie ?… Vous croyez vraiment à ce que vous dites ? » Elle répondait oui. Ah ! la sale femme !

« Mais ce n’était pas assez d’avoir la peur, il