Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/70

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suis venue à toi — je me vois maintenant — les poings serrés et les yeux fermés.

Elle ajouta :

— On ment beaucoup à propos de l’amour. Ce n’est presque jamais ce qu’on dit.

« Il y a peut-être des attractions magnifiques entre des hommes et des femmes. Je ne dis pas qu’un tel amour ne puisse pas exister entre deux êtres. Mais ces deux êtres-là, ce n’est pas nous. Nous n’avons jamais pensé qu’à nous-mêmes. Je sais bien que je me suis aimée avec toi. De ton côté, c’est pareil. Il y a pour toi un attrait qui n’existe pas pour moi, puisque je ne ressens pas de plaisir. Tu vois, nous faisons un marché, nous nous donnons l’un du rêve, l’autre de la jouissance. Tout cela n’est pas de l’amour. »

Il eut un geste, — doute, protestation ; il ne voulait pas parler. Toutefois, il articula faiblement :

— Il en est toujours ainsi ; même dans le plus pur des amours, on ne peut sortir de soi-même.

— Oh ! fit-elle dans un haussement de protestation pieuse dont la vivacité me surprit, ce n’est tout de même pas la même chose ; ne dis pas cela, ne dis pas, cela !

Il me sembla qu’il régnait dans son accent un regret, dans son regard, le rêve d’un nouveau rêve.

Elle dissipa cela en secouant la tête.

— Comme j’ai été heureuse ! Je me trouvais rajeunie, neuve. J’éprouvais des recommencements de candeur. Je me rappelle que je n’osais plus