Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/75

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— Nous aurons toujours peur ! dit-il.

Leurs paroles se rapprochaient les unes des autres, s’étreignaient, les mots changés en baisers, chuchotés par toute la chair. Il avait soif d’elle, il l’attirait, sa bouche l’appelait de toutes ses forces. Leurs mains étaient inertes, toute leur vie remontant à leurs lèvres. Et tout s’effaçait devant ce désir reconstruit par l’esprit du mal.

Oui, il leur avait fallu ressusciter leur passé pour s’aimer ; il leur fallait, continûment, le rassembler par fragments pour empêcher leur amour de s’annihiler dans l’habitude, — comme s’ils subissaient, en ombre et en poussière, en ralentissement glacé, l’écrasement de la vieillesse et l’empreinte de la mort.

Ils se serraient. Les taches pâles de leurs figures se rejoignaient. Je ne les distinguais pas l’un de l’autre, mais il semblait que je les voyais de mieux en mieux, car j’apercevais le grand mobile profond de leur accouplement.

Ils s’enfermaient dans la nuit ; ils tombaient, tombaient dans l’ombre, ce gouffre qu’ils avaient voulu ; ils s’enlisaient dans ces ténèbres que, sur terre, ils avaient cherchées et suppliées.

Il balbutia :

— Je t’aimerai toujours.

Mais elle et moi nous sentons bien qu’il ment comme tout à l’heure ; nous ne nous y trompons pas. Mais qu’importe, qu’importe !

Les lèvres sur les siennes, elle murmura comme une caresse aiguë dans la caresse : — Tout à l’heure, il sera là.