Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/79

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son illusion, à elle, s’effacerait et l’abandonnerait, elle dit presque plaintivement :

— Que Dieu bénisse le peu de plaisir qu’on a !

Pauvre cri, premier signal d’une haute chute, prière blasphématoire, mais, divinement, prière !

L’homme répétait machinalement :

— Tout au monde !…

… Le groupe charnel s’affaissa. L’homme était rassasié. Je vis de mes yeux peu à peu qu’un regret, qu’un remords le harassait, l’écartait du fardeau de la femme qui ne comprenait pas dans sa chair cet éloignement : elle n’était pas comme lui tout d’un coup débarrassée et vidée de plaisir.

Mais elle sentait qu’il n’avait pas cherché, qu’il n’avait pas regardé plus avant que cela et qu’il était au bout de son rêve… Déjà elle pensait, sans doute, qu’un jour ce serait fini pour elle aussi, et que la destinée recommencée ne vaudrait pas mieux que l’autre.

Et à ce moment où il me semblait, avec mon acharnement de visionnaire presque créateur, suivre ce reflux de détresse sur leurs faces, dans l’air encore plein des mots : « C’est tout au monde », il gémit :

— Ah ! ce n’est rien, ce n’est rien !

Étrangers l’un à l’autre, ils étaient parcourus par la même pensée.

… Tandis qu’elle reposait encore toute sur lui, je vis ses regards à lui, dans une torsion de son cou, se tourner vers la pendule, vers la porte, vers le départ. Puis, comme la bouche de sa maîtresse était près de la sienne, sa figure s’en écarta