Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/97

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deux bouches qui se saisissent, de leurs deux cœurs si aveugles et si muets.

Tous les amants du monde sont pareils : ils s’éprennent par hasard ; ils se voient et sont attachés l’un à l’autre par les traits de leurs figures ; ils s’illuminent l’un l’autre par l’âpre préférence qui est comparable à la folie ; ils affirment la réalité des illusions ; ils changent pendant un moment le mensonge en vérité.

Et, à ce moment, j’ai entendu quelques mots déchirés de leurs confidences :

— Tu es à moi, tu es à moi. Je te possède, je te prends…

— Oui, je suis à toi !…

Voici l’amour tout entier, le voici près de moi qui m’envoie à la figure, comme un encens, avec son va-et-vient, l’odeur et la chaleur de la vie, et qui accomplit son labeur de démence et de stérilité.

Le dialogue recommence, plus doux, plus calme, et j’entends comme si on s’adressait à moi.

D’abord une phrase passe en tremblant, presque en songe :

— J’adore nos nuits, je n’aime pas nos jours.

Et on reprend, égrenant lentement des raisons, distraitement, dans un bercement assouvi — les mots parfois se mêlant et n’ayant plus de formes, les deux bouches proches comme deux lèvres :