Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/147

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arbres calmes, qu’on longeait, et, de temps en temps, les vastes ramures, sous l’action de la brise, se décidaient à quelque lent geste majestueux.

Suilhard me précédait. Il me conduisit dans un chemin creux qui tournait, encaissé ; de chaque côté, poussait une bordure d’arbustes dont les faîtes se rejoignaient étroitement. Nous marchâmes quelques instants environnés de verdure tendre. Un dernier reflet de lumière, qui prenait ce chemin en écharpe, accumulait dans les feuillages des points jaune clair ronds comme des pièces d’or.

— C’est joli, fis-je.

Il ne disait rien. Il jetait les yeux de côté. Il s’arrêta.

— Ça doit être là.

Il me fit grimper par un petit bout de chemin dans un champ entouré d’un vaste carré de grands arbres, et bondé d’une odeur de foin coupé.

— Tiens ! remarquai-je en observant le sol, c’est tout piétiné par ici. Il y a eu une cérémonie.

— Viens, me dit Suilhard.

Il me conduisit dans le champ, non loin de l’entrée. Il y avait là un groupe de soldats qui parlaient à voix baissée. Mon compagnon tendit la main.

— C’est là, dit-il.

Un piquet très bas – un mètre à peine – était planté à quelques pas de la haie, faite à cet endroit de jeunes arbres.

— C’est là, dit-il, qu’on a fusillé le soldat du 204, ce matin.

» On a planté le poteau dans la nuit. On a amené le bonhomme à l’aube, et ce sont les types de son escouade qui l’ont tué. Il avait voulu couper aux tranchées ; pendant la relève, il était resté en arrière, puis était rentré en douce au cantonnement. Il n’a rien fait autre chose ; on a voulu, sans doute, faire un exemple. »

Nous nous approchâmes de la conversation des autres :

— Mais non, pas du tout, disait l’un. C’était pas un