Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/80

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ne lui en parle pas. Il s’apercevra bien assez tôt de la présence de cette jolie flamme vers qui tout son être se jette et qui l’évite comme un feu follet. Pour le moment, du reste, nous sommes en affaires. Il faut absolument conquérir le coin convoité. On s’est remis en chasse avec l’énergie du désespoir. Barque nous entraîne. Il a pris la chose à cœur. Il en frémit et on voit trembler son toupet poudré de poussière. Il nous guide, le nez au vent. Il nous propose de faire une tentative sur cette porte jaune qu’on voit. En avant !


Près de la porte jaune, on rencontre une forme pliée : Blaire, le pied sur la borne, dégrossit avec son couteau le bloc de son soulier, et en fait tomber des plâtras… Il a l’air de faire de la sculpture.

— T’as jamais eu les pieds si blancs, goguenarde Barque.

— Fouterie à part, dit Blaire, tu saurais pas où elle est, c’t’espèce de voiture ?

Il s’explique :

— Faut que j’cherche la voiture-dentiste, à cette fin qu’on m’accroche c’râtelier et qu’i’s m’ôtent les vieux dominos qui m’restent. Oui, paraît qu’a stationne ici, c’te voiture pour la gueule.

Il replie son couteau, l’empoche et s’en va le long du mur, hanté par la résurrection de sa mâchoire.

Une fois de plus, nous servons notre boniment de mendigots :

— Bonjour, madame, vous n’auriez pas un petit coin pour manger ? On paierait, on paierait, bien entendu…

— Non…

Un bonhomme lève, dans la lueur d’aquarium de la fenêtre basse, une figure curieusement plate, striée de rides parallèles et semblable à une vieille page d’écriture.

— T’as bien l’chenil, ilo.

— Y a pas d’place dans l’chenil et pisqu’on y fait la lessive du linge…