Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/122

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nullement au mélange des mètres, et il en a tiré à maintes reprises le plus heureux parti, en particulier dans la Nuit d’octobre. La pièce est à relire tout entière, une fois de plus, à ce point de vue spécial.

La plupart des procédés techniques peuvent s’imiter et se transmettre. Théodore de Banville donne dans son traité de versification des recettes grâce auxquelles, assure-t-il, le premier imbécile venu peut faire de très bons vers. Mais le choix des mots, et la valeur inattendue, la résonance particulière qu’ils prennent sous la plume de tel ou tel poète, tout cela ne s’imite ni ne s’enseigne, car ce ne sont pas des choses dont le poète décide librement : elles lui sont imposées ; elles sont déterminées d’avance par le caractère même de sa vision poétique. Ainsi, chez Théophile Gautier, l’épithète est presque toujours purement matérielle, n’exprimant que la forme ou la couleur. Il en est souvent de même chez Victor Hugo ; mais souvent aussi l’épithète y est symbolique, traduisant beaucoup moins l’aspect réel des choses que ce qu’elles évoquent en nous d’idées, d’impressions, d’images étrangères et lointaines. L’épithète de Musset peint à la fois l’apparence extérieure de l’objet et sa signification poétique. Il semble que pour lui, il y ait concordance nécessaire entre l’essence des choses et leur forme sensible. C’est peut-être une erreur métaphysique, mais que deviendrait la poésie sans cette illusion ? On peut juger de ce qu’elle vaut par les vers où Musset a rendu avec grandeur, au moyen de deux adjectifs,