Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/130

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à la main la palme des martyrs. Ses paroles épurent l’air autour de ses lèvres ; son vol est si rapide que nul ne peut dire où il va. Prends-y garde ! une fois, dans ma vie, je l’ai vu traverser les cieux. J’étais courbé sur mes livres ; le toucher de sa main a fait frémir mes cheveux comme une plume légère. » Depuis que cette radieuse apparition a traversé le cabinet d’études où Lorenzo s’occupait paisiblement d’art et de science, le jeune étudiant a renoncé à son lâche repos. Il s’est juré de tuer les tyrans par philanthropie, un peu aussi par orgueil, et il a commencé à vivre avec cette idée : « Il faut que je sois un Brutus ».

Un débauché cruel, Alexandre de Médicis, règne sur Florence accablée. Lorenzo contrefait ses vices pour gagner sa confiance, s’insinuer auprès de lui et l’assassiner. Il se ravale à être le directeur de ses honteux plaisirs, le complice de ses forfaits, un objet de honte et d’opprobre auquel sa mère ne peut penser sans larmes et que le peuple appelle par mépris Lorenzaccio. L’heure sonne enfin de jeter le masque. Le duc Alexandre va périr et Florence être libre. Près de frapper, le nouveau Brutus s’aperçoit avec épouvante que nul ne souille impunément son âme. C’est le crime irrémissible pour lequel il n’est pas d’expiation et qui suit l’homme jusqu’à la tombe. Lorenzo avait revêtu un déguisement qu’il croyait pouvoir rejeter à son gré ; la débauche l’a saisi et gangrené jusqu’aux moelles, et il ne lui échappera plus : « Je me suis fait à mon métier, dit-il amèrement.