ALFRED DE MUSSET
CHAPITRE I
LES ORIGINES—L’ENFANCE
Chaque génération chante pour elle-même et dans son langage. Elle a
ses poètes, qui traduisent ses sentiments et ses aspirations. Puis
viennent d’autres hommes, avec d’autres idées et d’autres passions,
toutes contraires, le plus souvent, à celles de leurs aînés. Ces
nouveaux venus demeurent insensibles à ce qui paraissait la veille si
émouvant. Leurs préoccupations ne sont plus les mêmes, ni leurs yeux,
ni leurs oreilles, ni leurs âmes. S’ils goûtent d’aventure les poètes
de la génération précédente, c’est à la réflexion, après une étude,
comme s’il s’agissait d’écrivains d’un temps lointain. Encore est-ce à
condition de n’avoir plus rien à redouter de leur influence ; sinon ils
les prennent en aversion, parce qu’il y a chez les jeunes gens un
besoin inné, et peut-être salutaire, de penser et de sentir autrement
qu’on ne l’avait fait avant eux ; ce n’est qu’à cette condition qu’ils
prennent conscience d’eux-mêmes.