Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/179

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et avidement, savourer toute la vie ; il ne l’a point cueillie, il ne l’a point goûtée ; il l’a arrachée comme une grappe, et pressée, et froissée, et tordue ; et il est resté les mains salies, aussi altéré que devant. Alors ont éclaté ces sanglots qui ont retenti dans tous les coeurs. Quoi ! si jeune et déjà si las !… La Muse et sa beauté pacifique, la Nature et sa fraîcheur immortelle, l’Amour et son bienheureux sourire, tout l’essaim de visions divines passe à peine devant ses yeux, qu’on voit accourir parmi les malédictions et les sarcasmes tous les spectres de la débauche et de la mort…. »

« Eh bien ! tel que le voilà, nous l’aimons toujours : nous n’en pouvons écouter un autre ; tous à côté de lui nous semblent froids ou menteurs. »

Il « n’a jamais menti » ; il a « ressenti » les peines qu’il a chantées ; il a été « plus qu’un poète,… un homme » : c’est bien ainsi qu’il fallait dire ; c’est pour cela que nous avons tant aimé Musset, et qu’aucun autre ne peut le remplacer pour nous.

Il put encore jouir de sa popularité, moins cependant que si l’heure en avait sonné dix ans plus tôt. A partir de 1840, les maladies s’acharnèrent sur lui : une fluxion de poitrine, une pleurésie, la maladie de cœur qui devait l’emporter, et puis des crises de nerfs, des accès de fièvre avec délire. Chaque assaut le laissait plus nerveux et plus excessif, trop sensible, trop mobile, trop extrême en tout, soit qu’il s’isolât avec ses maux et sa tristesse, soit qu’il se rejetât avec emportement dans des plaisirs