Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/31

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ment causé par la chute du premier empire. On connaît leur thèse. Le vide laissé par un Napoléon est impossible à combler. Au lendemain des efforts violents que l’empereur avait exigés de la France, la jeunesse de la Restauration se sentit désoeuvrée. Comparant ce qui se passait autour d’elle à la chevauchée impériale à travers les capitales, elle trouva le présent pâle et mesquin, et ne sut que faire d’elle-même. Stendhal est revenu avec insistance sur ces idées. Musset leur a consacré l’un des chapitres de la Confession d’un Enfant du siècle : « Un sentiment de malaise inexprimable commença… à fermenter dans tous les jeunes coeurs. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens… se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. »

On peut discuter les origines de cette misère morale ; on ne peut en nier les ravages. Le mal fut tenace. M. Maxime Du Camp, plus jeune que Musset d’une douzaine d’années, a écrit dans ses Souvenirs littéraires : « La génération artiste et littéraire qui m’a précédé, celle à laquelle j’ai appartenu, ont eu une jeunesse d’une tristesse lamentable, tristesse sans cause comme sans objet, tristesse abstraite, inhérente à l’être ou à l’époque. » Les jeunes gens étaient hantés par l’idée du suicide. « Ce n’était pas seulement une mode, comme on pourrait le croire ; c’était une sorte de défaillance générale qui rendait le cœur triste, assombrissait la pensée et faisait entrevoir la mort comme une délivrance. »