Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ah ! malheur à celui qui laisse la débauche
    Planter le premier clou sous sa mamelle gauche !
    Le cœur d’un homme vierge est un vase profond :
    Lorsque la première eau qu’on y verse est impure,
    La mer y passerait sans laver la souillure ;
    Car l’abîme est immense, et la tache est au fond.

Musset est revenu sur cette idée à bien des reprises, et toujours avec un accent poignant, où se trahit un retour sur lui-même et l’âpreté d’un regret.

Au cinquième acte, la gracieuse idylle de Déidamia fait de nouveau dévier le sujet et termine le drame par un événement romanesque, un pur accident ; à moins que l’on n’accepte l’interprétation que M. Émile Faguet a donnée récemment du dénouement de la Coupe et les Lèvres[1], interprétation très intéressante, parce qu’elle supprime l’accident et rend au poème l’unité qui lui manquait. D’après M. Faguet, Frank « revient à l’amour d’enfance comme à une renaissance et à un rachat… et ne peut le ressaisir ; car Belcolor (qu’il faut comprendre ici comme un symbole), car le spectre de la débauche le regarde, l’attire, le tue ».

Quoi qu’il en soit, Frank est le plus byronien des héros de Musset, et cela est curieux, car Musset se défendait avec vivacité, dans la dédicace même de la Coupe et les Lèvres, d’avoir cédé à l’influence des Manfred et des Lara :

    On m’a dit l’an passé que j’imitais Byron ;
    Vous qui me connaissez, vous savez bien que non.
    Je hais comme la mort l’état de plagiaire ;
    Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre.

  1. Études littéraires. XIXe siècle.