Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/74

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gello. A peine fut-il en convalescence, que le vertige du sublime et de l’impossible ressaisit les deux amants. Ils imaginèrent les déviations de sentiment les plus bizarres, et leur intérieur fut le théâtre de scènes qui égalaient en étrangeté les fantaisies les plus audacieuses de la littérature contemporaine. Musset, toujours avide d’expiation, s’immolait à Pagello, qui avait subi à son tour la fascination des grands yeux noirs. Pagello s’associait à George Sand pour récompenser par une « amitié sainte » leur victime volontaire et héroïque, et tous les trois étaient grandis au-dessus des proportions humaines par la beauté et la pureté de ce « lien idéal ». George Sand rappelle à Musset, dans une lettre de l’été suivant, combien tout cela leur avait paru simple. « Je l’aimais comme un père, et tu étais notre enfant à tous deux. » Elle lui rappelle aussi leurs émotions solennelles « lorsque tu lui arrachas, à Venise, l’aveu de son amour pour moi, et qu’il te jura de me rendre heureuse. Oh ! cette nuit d’enthousiasme où, malgré nous, tu joignis nos mains en nous disant : « Vous vous aimez, et vous m’aimez pourtant ; vous m’avez sauvé, âme et corps ». Ils avaient entraîné l’honnête Pagello, qui ignorait jusqu’au nom du romantisme, dans leur ascension vers la folie. Pagello disait à George Sand avec attendrissement : il nostro amore per Alfredo, notre amour pour Alfred. George Sand le répétait à Musset, qui en pleurait de joie et d’enthousiasme.

Pagello conservait cependant un reste de bon sens. En sa qualité de médecin, il jugea que cet état d’exaltation