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L’APPEL AU SOLDAT

le personnage du journaliste suffisait à compromettre dans l’esprit de Saint-Phlin tout ce que Sturel rapportait de favorable.

— Mais enfin, — lui expliquait quelques jours après Rœmerspacher, toujours porté à le mystifier, — c’est une question de savoir si l’on doit repousser les bonnes volontés qui s’offrent. Une seule fois, et le fait n’est mentionné que par Luc, Jésus-Christ refusa quelqu’un pour disciple. Je penche à croire que, dans une entreprise ayant pour but la réorganisation nationale, le novateur doit idéaliser, comme le conseille Auguste Comte, tous les adhérents qui se présentent, et, dans l’impossibilité de déterminer avec certitude leur mobile, se satisfaire de l’hypothèse la plus simple, à savoir leur parfaite sincérité ; car les traiter comme s’ils étaient de bonne foi, c’est le meilleur moyen qu’ils le deviennent.

— Parfaitement ! — opinait le sérieux Sturel. — Si le boulangisme n’est pas pur, il le deviendra.

Cette déclaration avivait encore le sourire de Rœmerspacher qui assistait aux accès messianiques de ses amis un peu comme à des séances de table tournante. Agacés de cette réserve moqueuse, ils le sommaient de parler.

— Eh ! disait-il, Boulanger est un joli Français, puisqu’il contente deux jolies natures comme les vôtres. Je lui trouve même une influence moralisatrice : n’en déplaise à Saint-Phlin, je lui sais gré d’attirer un Renaudin. Notre Renaudin, qui n’était qu’un cynique assez bas et un journaliste d’affaires, ressent pour son Général du dévouement, au point de risquer parfois sa situation au XIXe Siècle. Je lui vois maintenant du feu, de l’ardeur, une façon d’en-