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STUREL RENCONTRE MADAME DE NELLES

sées se succédaient et s’élevaient dans son esprit, aussi nombreuses que les vagues de la mer ; elles s’effaçaient les unes les autres, mais allaient dans le même sens pour soulever le général Boulanger.

C’est, après tout, un jeune homme sans importance qui fait son apprentissage, et son ambition a mûri plus vite que sa sensibilité ne s’est enrichie. Il s’harmonise difficilement avec le beau morceau de vie sociale qu’est ce salon, parce que, mû par des appétits simples, il est incapable d’accepter la complexité des motifs qu’il entrevoit chez les associés éventuels de ses espérances.

Il resta un moment immobile ; sa figure avait perdu des nuances pour ne plus exprimer qu’une volonté passionnée. Dans cette soirée que poétisent l’élégance du décor, l’éclat aristocratique des femmes et la courtisanerie autour d’un joueur heureux, ce jeune homme de vingt-quatre ans, le dos appuyé au chambranle d’une porte, examine tour à tour Mme de Nelles, installée comme une petite reine, et puis la foule dont le général Boulanger fait le centre. Ce chef et cette femme lui inspirent une passion renforcée par un magnifique avenir. On ne l’a pas initié jusqu’alors aux moyens du Général, mais il les excuse, quels qu’ils soient, avec enthousiasme, car la politique n’est-ce pas l’art d’utiliser pour une œuvre nationale les intérêts les plus divers, les plus mesquins ? Et cette pensée de combat durcit ses traits, qui s’adoucissent soudain jusqu’à une gentillesse enfantine, quand il rencontre le regard de Mme de Nelles qui peut-être le cherchait.

Elle réfléchissait avec ses yeux, ses épaules nues et ses perles, toute la lumière de ses salons, où rien