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BOUTEILLER ET LE PARLEMENT

vont-ils bientôt nous laisser tranquilles ! » L’échec irrémédiable du Panama l’arrache à sa chimère, le jette à terre sans lui casser les reins. Brutalement rendu à la réalité, il y reprend des forces. La lâcheté des pouvoirs publics a causé tout le mal : il faut réformer dans l’État la conception du devoir républicain.

Au préalable, qu’on en finisse avec les confuses agitations boulangistes qui empêchent de reprendre les choses par la base. Bouteiller, s’il n’a pas l’intelligence complète, c’est-à-dire l’amour, de ce véritable mahdisme, méprise du moins l’impuissance des Chambres. Elles excèdent le pays par la misère et la nervosité de leurs manifestations auxquelles les exploits oratoires de M. Floquet ajoutent du ridicule. Et, au dehors, elles ne trouvent à organiser qu’une procession en l’honneur de Baudin, de qui le nom évoque tout au court l’indifférence où la nation tenait déjà les parlementaires en 1851. Bouteiller hausse les épaules et, se plaçant en face des difficultés, il cherche des moyens que, dès la rentrée (14 octobre 1888), il s’occupe de faire adopter.

À cette date, Bouteiller se complète et se parfait. Non dans sa culture générale ! Bien plutôt il élimine de lui-même certaines qualités humaines ; mais il s’adapte aux besognes de l’ordre politique. L’ancien professeur de philosophie perd toute philosophie : à l’entendre affirmer la supériorité de son parti, comme eût fait pour le sien propre chacun de ses collègues, on est dégoûté de sa mesquinerie. Il n’eût gardé de valeur qu’à renier intérieurement ce qu’il disait ; or, profondément, il croyait à la bassesse du boulangisme. Tout politicien fait voir cette misère intellectuelle d’apporter d’insolentes affirmations dans des