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L’APPEL AU SOLDAT

Pensait-il que mieux vaut se poser en martyr qu’en blackboulé, ou bien cet audacieux, qui ne sentait plus d’objection à l’expédient révolutionnaire d’une Haute Cour, supposait-il à Boulanger la même hardiesse d’âme ?

Chaque quartier, en connaissant par les chiffres que sa majorité était boulangiste, le devint unanimement et attendit quelque chose. Un frémissement nerveux exaltait non seulement les fidèles enrégimentés mais tout le Paris romanesque, cette foule immense de curieux, d’imaginatifs et de mécontents qui, dès leur dîner, se dirigèrent sur les boulevards, les obstruant, les enfiévrant d’un même désir d’acclamer le vainqueur et de prendre son mot d’ordre.

Autour de Floquet atterré, ses collaborateurs estimaient n’avoir pas les moyens de se défendre. On savait qu’à l’Élysée le poste livrerait les portes ; que les soldats, sortis de leur caserne, acclameraient Boulanger ; que la garde républicaine, colonel en tête, s’offrait pour un coup de main.

Au premier étage du restaurant Durand s’achevait dans le plus grand désordre un dîner de vingt-cinq couverts, présidé par Déroulède. Dans la salle du rez-de-chaussée, dans les escaliers et dans les couloirs, c’était une cohue de dévouements bruyants qui, à travers les rues, noires au loin d’une foule pressée, avaient couru en se déchirant pour apporter les chiffres de la victoire. Chaque résultat partiel augmentait la majorité du chef et faisait déborder la joie dont était comblé, depuis les premiers chiffres, le cœur des grands lieutenants. Joie légitime, exagérée encore chez les agents secondaires, chez des hommes de cercles, vaguement rastaquouères, par la forfanterie