Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
213
LE POINT CULMINANT

d’une issue secrète. On parvint, non sans peine, à faire avancer la voiture.

Thiébaud tira sa montre :

— Minuit cinq, messieurs ! Depuis cinq minutes le boulangisme est en baisse !

Le bruit courait que M. de Labruyère, avec cinquante sous-officiers d’Afrique, voulait cerner la voiture, l’entraîner vers l’Élysée. Le Général, en descendant l’escalier, répéta plusieurs fois à M. Feuillant, chargé de son service personnel dans cette journée : « Surveillez Labruyère. » Il entra précipitamment dans le landau. Des ligueurs soutiennent, maîtrisent les chevaux ; l’immense place de la Madeleine, la rue Royale, les boulevards, éclatent en cris furieux d’amour, de triomphe ; l’obstiné Déroulède domine tout sur le siège, auprès du cocher, et jusque dans la chambre du Général, il prêchera son idée d’un 4 septembre pour le lendemain.

La foule satisfaite se disperse en acclamant une suprême fois le chef du parti national. Tout de même, dans cette idée d’un chef, cette population se complaît trop. Tant de vie au dehors ! on voudrait plus de vie intérieure et que d’elle-même cette population assurât sa fortune : que ce parti obéit davantage à ses propres instincts. Cet homme n’ordonne pas à cette foule de se risquer gravement ? c’est à une volonté anonyme de tout compromettre et emporter. — Hélas ! le cerveau que Bouteiller prépare au parlementarisme, personne ne l’a donné au boulangisme, qui demeure rien qu’une fièvre.

Sturel s’éloigne de la place de la Madeleine, rapidement clairsemée, où les agents disent : « Circulez, messieurs, circulez ! » Il erre par les rues. La tempé-