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L’APPEL AU SOLDAT

sens plein aux codes et aux rêveries philosophiques où s’affirme l’antagonisme germano-latin. Un tel paysage, véritable état d’âme social, étale devant nous la conscience de l’Europe. Voilà le lieu où se font le plus intelligibles la précaire sécurité des peuples et leur surcharge financière. On y voit entre l’état-major français et l’allemand un état de guerre constant, entretenu par des millions sans cesse engloutis dans ce sol de frontière. Secrète ou déclarée, cette bataille, si haut qu’on remonte dans les siècles, ne fait point trêve. Elles ne sont pas près de désarmer, les deux forces ethniques qui s’affrontent ici, à perte de vue historique, sur une ligne d’intersection que tous leurs efforts n’ont jamais déplacée plus sensiblement que la corde de l’arc où tire un sagittaire. Dans la série des transformations qui va de l’idée au fait, un canon pointé marque l’instant où le rêve obscur d’une race devient une volonté. C’est à ce degré que sur la frontière, depuis dix-neuf ans, toutes choses sont haussées et maintenues. Le sol, comme un tableau de mathématiques, est couvert de formules que les ingénieurs des deux nations s’opposent, et, sans s’occuper d’éprouver immédiatement les valeurs françaises et allemandes, sans tenir compte du coefficient moral qu’apporterait au bénéfice de l’un ou de l’autre pays telle circonstance, ils dressent le système des opérations à faire, au bout desquelles ressort nécessairement où est l’énergie la plus puissante.

Sous cette algèbre écrasante, que devient la pauvre Lorraine ? Sturel se rappelait au palais du Té, à Mantoue, la salle des Géants. Sous une pluie de roches monstrueuses, les colosses, fils de la Terre, sont en-