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L’APPEL AU SOLDAT

compliments comment il m’a révélé la Provence ? Je préférai lui dire mes raisons d’aimer la Lorraine.

« Je lui exposais que nous possédons une belle histoire, mais systématiquement dissimulée par les bureaux parisiens, au point que le Lycée de Nancy ne nous a pas donné une seule notion sur notre province.

« — Des notions ! me dit-il, on vous les eût données fausses ! C’est le comte d’Arles, et non Charles Martel, qui a repoussé les Sarrasins. Peut-être avons-nous eu tort. Nous posséderions des Alhambras… Plus tard ce sont les paysans de Provence qui ont dévasté leur pays, héroïquement coupé leurs oliviers devant Charles-Quint. Mais tout cela, quelle histoire le dit ?

« Par manière de plaisanterie hospitalière, il remarqua encore que Jeanne d’Arc était de suzeraineté provençale et que le roi René nous appartient en commun.

« — En somme, ajoutai-je pour conclure, nous avons un esprit lorrain, un honneur de soldat que nous avons fait connaître, dans les armées de la France et, aujourd’hui, dans Metz, fidèle à la patrie qui l’abandonne, mais il nous manque une expression littéraire.

« — J’ai pourtant reçu, me dit-il, un almanach d’Épinal.

« — Oui, nous avons des patois lorrains qui sont une langue diversifiée de village en village et, tout comme le français ou le provençal, formée régulièrement du latin rustique. Mais le malheur, c’est qu’on n’a jamais pensé d’une façon importante en patois lorrain ! Sauf un instant, aux quinzième et seizième siècles, sous la