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L’APPEL AU SOLDAT

langue française, et maintenant, celle-ci, nous devons la défendre contre l’allemande où notre esprit se noierait tout entier. C’est partie perdue pour le dialecte lorrain, et un Mistral chez nous voudrait lutter pour maintenir la langue des « Parigots ».

« Le maître m’approuva, car il répugne à heurter, puis aussitôt il me proposa une série d’affirmations bien faites pour m’ébranler.

« — Quand je veux parler avec un homme, disait-il, je ne prends pas un « paysan instruit » ; c’est un bêta qui ne comprend rien. J’apprends des « illettrés » : ils savent le nom des oiseaux et des plantes, leurs mœurs, et leur emploi, les traditions ; ils ont des mots vivants auxquels ils peuvent rattacher des idées, des impressions de chez eux. Les expressions de la ville, dénuées d’objet propre dans nos campagnes, y deviennent des à peu près sans convenance réelle. Il est bon d’étendre notre langue quand nos besoins dépassent le champ qu’elle embrasse, mais les croyez-vous si nombreuses, ces personnes faites pour déborder le milieu où elles sont nées ? D’ailleurs celles-là, qu’elle soient bilingues ! À Marseille jadis on parlait grec, latin, celtique et aujourd’hui encore la Suisse est trilingue. Souvent, quand j’étais jeune, on m’affirmait qu’à Paris seulement je pourrais m’épanouir (et quelquefois aussi je m’attristais à me représenter les plaisirs de la grande ville), mais je reconnais maintenant que ma langue et ma Provence ont été mon bonheur et mon talent, parce qu’elles étaient les conditions naturelles de mes sentiments. Croyez-moi, les paysans de la campagne de Metz défendront leur patois messin plus longtemps que le français ne résistera, car beaucoup de choses