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L’APPEL AU SOLDAT

matinée semblable, cet Empereur, disait Sturel, a pu discuter en soi-même s’il serait raisonnable d’avoir cette vision qui peu après le convainquit d’inaugurer la liberté de conscience.

À cinquante kilomètres de Trêves, vers les dix heures du matin, dans un lieu nommé Berncastel, comme les deux cyclistes se reposaient de la route devenue poussiéreuse, en admirant la vallée de Tieffenbach encore moirée d’ombres molles et de lueurs humides, ils virent venir le bateau à vapeur qui descend à Coblence et ils comprirent tout de suite que, par le gros du jour, ce serait excellent de déjeuner au fil de l’eau. Depuis Bussang, ils avaient franchi trois cent cinquante-cinq kilomètres en bicyclette, et la Moselle, à partir de Trêves, s’enfonce dans un massif compact où elle ne pénètre qu’avec les efforts d’une vrille. C’est la région des coudes. La route, pour profiter de l’étroit défilé ouvert par les eaux, s’associe à leurs serpentements. Le cycliste peste, quand, sous un gros soleil, les lacets du chemin le ramènent continuellement à quelques kilomètres du point où deux heures plus tôt il passait ; mais sur un bateau, commodément installés à l’ombre, jouissant des villages semés sur les deux rives et des rochers abrupts mêlés aux terrasses de vignobles, Sturel et Saint-Phlin ne songèrent qu’à se féliciter de circuits qui renouvelaient perpétuellement le paysage.

De Trêves à Coblence, on descend en onze heures trois quarts, on remonte en vingt-trois heures, tandis que le chemin de fer fait le trajet en deux heures et demie. Aussi le bateau est presque vide. Les touristes croient devoir préférer le Rhin. S’ils avaient le goût