Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
419
BOULANGER S’ESSUIE LE VISAGE DEVANT STUREL

Sturel pose sa plume :

— Volé ! volé ! quoi, mon Général, même de cela faut-il donc vous défendre ?

Eh ! si quelqu’un vous crache au visage, certainement il faut de votre main vous essuyer la joue. L’injure des Thévenet, des Constats, des Reinach, oncle et neveu, ne vaut pas contre une vie qu’eux et leurs amis trouvaient admirable quand ils pensaient l’utiliser pour leur politique propre : cela suffit aux gens réfléchis et à l’histoire. Mais pour la foule ?… Pour la foule, qui que vous soyez, et contre tout accusateur, il faut vous disculper, et plus fort que l’autre n’accuse, et d’une façon qui émeuve. « Laissons, dit-elle, ce que vous fîtes en Italie, en Cochinchine, à Champigny, en Tunisie ; laissons ce qu’ils firent eux-mêmes : moi, public, j’ai tous les droits et je veux vous arbitrer. Ma juste méfiance m’incite à plus exiger d’un chef que d’un égal. Et puis il y a mon envie démocratique qui se satisfait de vous voir, vous, si puissant, obligé de vous découvrir et de vous dessécher la bouche en explications. Enfin, comptez avec ma curiosité. Je me dresse pour voir la riposte, la forte riposte de celui que j’aime. »

Boulanger accepte sans une plainte cette nécessité, toujours la même à travers les siècles pour les chefs populaires. Seulement, d’heure en heure, il monte au deuxième étage, jusqu’à la chambre où souffre Mme de Bonnemains. Il y a quelque chose de tragique dans le spectacle de cet homme, pâle, cette nuit, et qu’ils tueront, réfutant minutieusement les plus infâmes combinaisons de leurs calomnies. Quand il a fini de dicter, sa pâleur n’est pas faite seulement du reflet des bougies contrariées par la triste lumière