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LA PREMIÈRE RÉNION DE JERSEY

bien saisir le sens de leurs paroles, on distingue qu’ils se désintéressent d’éclairer la situation et qu’ils se préoccupent d’assurer leur autorité ou simplement de satisfaire leur vanité. Encore à cette constatation stérile n’arrive-t-on qu’après trois heures de débat.

Elle vaut vraiment comme symbole, l’épaisse fumée qui, à tous les degrés de la hiérarchie sociale, enveloppe les groupes politiques ! Le plus humble comité municipal et le plus haut conseil de gouvernement ne fonctionnent jamais sans que les pipes, les cigares, les cigarettes ajoutent à la traditionnelle dissimulation des hommes d’État et créent ce nuage dans lequel la première loi fut promulguée sur le Sinaï. En séance publique, les parlementaires ne peuvent que priser, mais leur vraie besogne sort des couloirs et des commissions, qui sont des tabagies.

Enfin, de cette fumée boulangiste, après que la séance a été suspendue et reprise, après que tous ont parlé, voici que se dégage, à défaut d’un mot d’ordre, une vérité psychologique. Le Comité national se partage entre deux esprits : celui des élus et celui des blackboulés. Ceux-ci, partisans de l’agitation, et en dehors de la légalité, s’il le faut ; ceux-là, partisans d’une certaine agitation, sans doute, mais aussi d’une certaine « honorabilité ». Les blackboulés, des gens au bout de leurs ressources politiques, ne peuvent rien perdre ; impatients, ils veulent, dans le plus bref délai, vaincre ou périr avec le boulangisme. Voilà bien de la rudesse, et peu politique, au jugement des honorables députés qui jugent extrêmement utile de garder les quelques sièges du parti. Si l’on veut se faire valider, il ne convient pas d’irriter