Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
484
L’APPEL AU SOLDAT

gination se compose ailleurs des plaisirs et des inquiétudes. Des caprices de coquette l’eussent affolé ; les tendres exigences d’une jeune amoureuse le froissent comme des liens, et un rendez-vous fixe toujours contrarie des projets vagues dont il espère davantage. Sa volupté la plus fine, dans le secret de son être, semble de gâcher un bonheur ; il y trouve une façon d’âpreté qui irrite en lui des parties profondes de la sensibilité et le fait d’autant mieux vivre. C’est ainsi que son âme, fréquemment livrée au tumulte des passions d’amour-propre, désire maintenant la solitude et, parmi son double désastre amoureux et boulangiste, jouit de se sentir méprisante et détachée.

Ce capricieux, ce déréglé sait pourtant plaire, parce qu’on voit qu’il place la passion par-dessus tout et qu’il s’égare sans jamais s’abaisser. Il ressent et communique les agitations des vrais amoureux, mais il décourage l’amour.

Peut-être en lui la vie est-elle si intense et dans toutes les directions qu’il n’arrive pas à se faire une représentation très nette des objets sur lesquels il dirige ses sentiments. Capable d’atteindre quelque jour des états élevés, car il a l’essentiel, c’est-à-dire l’élan, mais affamé tour à tour de popularité, de beauté sensuelle, de mélancolie poétique, il ne vérifie pas les prétextes où il satisfait son soudain désir, et, bientôt dissipée sa puissance d’illusion, il se détourne de son caprice pour s’enivrer d’une force sur lui plus puissante encore que toute autre, pour s’enivrer de désillusion.

C’est ce philtre qu’il buvait dans le boulangisme mourant et sur les lèvres de Mme de Nelles dans le