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L’APPEL AU SOLDAT

— Ils seront brisés.

Il parlait ainsi de ses adversaires et peut-être de ses amis.

À table, Sturel fut épouvanté par l’évidente phtisie de Mme de Bonnemains et gêné par Mme Boulanger la mère, une vieille très usée, qu’ils avaient recueillie sous leur toit. Le Général entourait de soins ces deux femmes, et pour les rassurer montrait un esprit libre et même un sorte d’enjouement. La louange de Jersey, son bon air, ses promenades variées firent tous les frais. On décida de sortir en voiture. Auparavant, il fallait visiter la partie la plus reculée de la propriété, une vaste roseraie, qui s’élevait par un chemin très pittoresque, orné d’étranges charmilles, d’une volière et d’un temple grec. Mme de Bonnemains, bien qu’elle s’appuyât au bras du Général, dut à plusieurs reprises s’asseoir sur les bancs espacés. Sturel modérait son pas sur le leur, les plaignait et s’impatientait. Et tout là-haut, contre le bois de pins où gisent des colonnades à moitié brisées, tandis qu’on se reposait, longuement sous prétexte d’admirer la vue, superbe, par-dessus la maison, sur de vastes espaces d’eau, il se disait avec l’insouciante dureté de ses vingt-sept ans vivifiés par l’air salin : « Croit-il donc que je suis venu pour respirer avec une malade des roses, en regardant le soleil sur la mer ? »

Dans leur longue promenade en landau, le Général continua de servir Mme de Bonnemains. Les regards, toutes les manières, la sécurité de cette créature, détruite par son mal et enfouie sous les couvertures, marquaient assez qu’elle connaissait sa toute-puissance. Vers ce temps-là, une femme qui avait favorisé leurs amours dans son petit hôtel de Royat, « la