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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

échecs électoraux, la trahison de ses partisans, sa méfiance éveillée envers les plus fidèles, l’accaparement de son programme par ses adversaires, le succès de la Revue de 1891, Cronstadt surtout, grande manifestation franco-russe qu’il avait toujours rêvé de présider et dont l’honneur lui échappait, voilà quelles secousses usèrent son énergie et l’amenèrent aux extrêmes frontières où l’on n’a plus qu’un pas pour entrer dans la mort. Et ce qui l’y jeta, ce fut ce désert moral dès le soir de l’enterrement.

Depuis trois ans, ne pouvoir être sincère avec personne ! N’avoir le droit ni de faiblir ni de s’inquiéter. Être le soldat chancelant qui nie sa blessure, le chef qui, se sachant trahi, affirme sa confiance. Sourire des attaques et des circonstances qui l’émouvaient le plus fortement, se faire voir dédaigneux, calme et sûr ! Attitude nécessaire, mais rien n’use davantage. Et, comme il faut que les femmes pleurent, les hommes les plus hommes ont besoin, à certains instants, de se détendre dans le découragement, d’avouer leurs craintes. Mme de Bonnemains n’avait jamais rien entendu à la politique ; mondaine, un peu sèche, elle ne possédait pas une âme boulangiste, mais jamais sa foi au succès ne s’ébranla. Qui donc pouvait accueillir les calomnies de leurs adversaires ou dominer l’étoile de son ami ? La société d’une femme si optimiste devenait d’autant plus précieuse au Général que son système nerveux, s’exaspérait sous la série indéfinie des impressions pénibles. Aussi, quand la mort lui enleva cette tendre intimité, il trouva un moindre effort à mourir qu’à continuer de vivre. Il lâcha la vie, comme tel individu, pour